Croissance faible, pouvoir d'achat déprimé, chômage à un
niveau record : l'Insee ne voit pas venir l'embellie que devait susciter
la politique économique néolibérale de Hollande. Et les cadeaux aux entreprises
seront utilisés à 50 % « pour accroître ou préserver leurs marges ».
Si, à l’occasion des élections municipales, les citoyens ont
déjà dit avec colère ce qu’ils pensaient de ce pronostic, en infligeant une
sanction historique aux socialistes, on ne savait pas encore ce qu’en dirait
l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui
fait souvent office de juge de paix dans le débat public. Mais avec la nouvelle « Note
de conjoncture » que l’Institut a publiée ce 3 avril en milieu de
soirée, nous voilà fixés : même s’ils disent les choses avec plus de
modération que les électeurs, les statisticiens ne sont pas loin de penser
comme eux. Croissance très faible, chômage toujours à un niveau record, pouvoir
d’achat en stagnation : la prévision est plutôt pessimiste et ne suggère
pas que la politique de l’offre chère à François Hollande puisse contribuer à
une véritable relance de l’activité. Elle valide même plutôt l’hypothèse selon
laquelle le « choc de compétitivité » générerait surtout
des effets d’aubaine.
Voici cette « Note de conjoncture »
Le chômage toujours à un niveau record
Comme le résume le tableau ci-dessous, l’économie française
vit en effet toujours au ralenti, avec une croissance infime qui devrait
plafonner à +0,1 % au premier trimestre de cette année 2014, puis
+0,3 % au second semestre. Au total, la conjoncture s’est à peine
améliorée, puisque l’on devrait constater à la fin du mois de juin un acquis de
croissance (lire ici ce qu’est un acquis de
croissance) de +0,7 % pour 2014, alors que sur l’ensemble de
l’année la croissance a été nulle (0 %) en 2012 et de seulement
+0,3 % en 2013. Mais enfin ! Avec une croissance sur l’ensemble de
l’année 2014 qui ne devrait donc guère dépasser 1 %, il n’y a pas de
miracle à attendre : pour l’immense majorité des Français, ce sera encore
une année détestable.
Et c’est bien, en effet, le pronostic qui semble, pour
l’Insee, le plus probable.
Ainsi, malgré les effets soi-disant favorables du CICE,
l’emploi marchand serait quasi stable au cours du premier semestre de
2014 : l’Insee n’envisage en effet qu’à peine +2 000 créations
d’emploi au cours de chacun des deux trimestres. Autant dire… presque rien,
compte tenu de l’ampleur des cadeaux qui ont été offerts aux entreprises via ce
dispositif de crédit d’impôt. En réalité, seuls les emplois non marchands progresseraient
donc au premier semestre 2014 (+42 000), sous l’effet de la hausse du
nombre des bénéficiaires des emplois dits « emplois d’avenir ».
Du même coup, la croissance de l’économie et la hausse de
l’emploi seraient trop faibles pour contrebalancer les évolutions
démographiques et les arrivées sur le marché du travail qu’elles entraînent.
Résultat implacable : la promesse faite par François Hollande d’une
inversion de la courbe du chômage avant la fin de 2013 ne serait toujours pas
honorée… d’ici juin 2014 ! L’Insee estime en effet que le taux de chômage
(au sens du Bureau international du travail) devrait rester jusqu’à cette
échéance à son niveau record de 10,2 %, qu’il connaît presque sans aucune
interruption depuis le dernier trimestre de 2012.
Deux ans de baisse historique du pouvoir d'achat
Pour les ménages, l’avenir est donc, à court terme, toujours
aussi préoccupant. Et ce qui est vrai du chômage l’est tout autant du pouvoir
d’achat, comme le montre le tableau ci-dessous :
Après deux années de chute historique, sans précédent depuis
1984 (l’année consécutive au deuxième plan de rigueur), au cours desquelles le
pouvoir d’achat (par unité de consommation) s’est établi respectivement à
-1,5 % en 2012 puis -0,3 % en 2013, le pouvoir d’achat devrait à
peine se redresser au début de 2014, à +0,3 % seulement à la fin du
premier semestre. Ce qui entraînerait, sans grande surprise, une croissance
très mollassonne de la consommation des ménages.
CQFD ! François Hollande a décidé un transfert
absolument sans précédent au détriment des ménages et en faveur des
entreprises, en prétextant que cette politique néolibérale était le gage d’un
retour de la croissance. Mais ce retour, on n’en trouve nulle trace véritable
dans les analyses des statisticiens.
Dans cette étude (en particulier à partir de la page 62), on
trouve même des indications qui sont pour le moins préoccupantes. Car l’Insee a
introduit en janvier 2014 de nouvelles questions dans ses enquêtes de
conjoncture. Plus de 8 000 entreprises du secteur des services et de
l’industrie, éligibles au CICE, ont été interrogées sur l’utilisation qu’elles
comptent faire de ce crédit d’impôt.
Or, les réponses (moins nombreuses que pour les enquêtes
traditionnelles de l’Insee) font apparaître de possibles et forts effets
d’aubaine. Car, certes, 46 % des entreprises dans l’industrie et 53 %
dans les services assurent que le CICE leur permettra d’investir davantage. Et
43 % des entreprises dans les services et 31 % dans l’industrie
disent que le même CICE aura un effet sur l’emploi.
Mais il faut admettre que ces taux sont très faibles. Ils
laissent même songeurs. Alors que les dirigeants socialistes veulent mobiliser
une somme de 20 milliards d’euros, financée notamment par le plus injuste des
impôts, la TVA, deux entreprises sur trois ne comptent pas embaucher :
cela vient donc confirmer que le soi-disant « choc de
compétitivité » va d’abord se traduire par… un choc de profits. En
clair, il va susciter d’énormes effets d’aubaine : de nombreuses
entreprises vont empocher les crédits d’impôt et ne rien faire d’autre
qu’arrondir leurs marges. C’est ce que confirme la note de l’Insee : « En
moyenne, les entreprises disent utiliser 50 % du CICE pour accroître ou
préserver leurs marges. Cette moyenne cache une grande disparité :
32 % des entreprises répondent qu’elles emploieraient exclusivement le
CICE pour améliorer leurs marges, et 29 % affirment que cette mesure ne
serait pas du tout utilisée dans ce but. »
Quelle que soit la fragilité de ces réponses, elles ont au
moins un mérite : elles montrent que le gouvernement a commis une erreur
gravissime en piochant dans les finances publiques pour une telle mesure, sans
même exiger une quelconque contrepartie de la part des entreprises ni le
moindre engagement. C’est même la pertinence de cette politique de l’offre
qu’en termes feutrés cette note vient ébranler…